Savoirs et pouvoirs thérapeutiques kanaks

Mon enquête sur le terrain devait dès le départ, me confronter à une complexité et une pluridimensionnalité dont aucun des travaux précédents ne laissait soupçonner l'étendue. Il s'agissait de travailler dans un domaine dont les limites ne coïncident pas avec celles de la médecine dans son acception hippocratique. Deux risques me menaçaient en permanence : une clôture réductrice sur la description de pratiques et de rites, une dissolution dans des questions générales relatives à l'organisation sociale. Me interlocuteurs extraordinairement prolixes, ces Kanak que l'on dit être des gens réservés et silencieux, m'apportaient une multitude d'informations historiques, sociologiques et de directions de recherche dont la convergence ne m'apparaissaient pas sur le moment. Petit à petit je réalisais à quel point l'énonciation sur le corps et la maladie constitue une forme de discours sur le corps social et ses avatars : la narration abondante des conflits éclaire par contraste le discours politico-rituel convenu (dont les hommes ont l'apanage) que les ethnologues ont longtemps privilégié.Si l'on part de la façon dont les Kanak eux-mêmes présentent les choses, on s'aperçoit que deux cadres se superposent : le premier à l'intérieur duquel les rapports sont régis par la référence généalogique à un ancêtre et à un ou plusieurs totems communs ainsi que par la référence à la naissance appréciée selon le principe de séniorité. Le second cadre d'ordre plus politique qui détermine la configuration des conflits, est celui de la chefferie : elle rassemble dans un terroir donné, un pays" disent les Kanak, un ensemble de personnes relevant de lignages attachés à des clans différents accueillis par les premiers occupants du lieu au terme d'une histoire parfois conflictuelle.